Entomo Farm

Entretien avec Adrien, responsable Marketing et Communication chez Entomo Farm, une startup produisant des insectes pour différents débouchés. Adrien explique l’activité de sa société et les perspectives pour la suite.

Bonjour Adrien, pourrais-tu décrire en quelques mots l’activité d’Entomo farm ?

Entomo Farm est une entreprise créée en 2014 par Grégory Louis et Clément Soulier :

  • Grégory est un profil autodidacte. Il est passé par de nombreux métiers dans l’immobilier, la finance, la musique, … C’est un véritable entrepreneur en soit ! Ses grands parents sont agriculteurs, il a ce lien avec le monde agricole encré en lui. Sa mère travaillait par ailleurs dans un laboratoire et lui a transmis la passion pour les insectes. En 2014, il décide de créer Entomo Farm, qui était le point de concours idéal entre ces deux angles de vie.
  • Clément est lui ingénieur de formation. Il a travaillé sur des sujets de développement industriel et de rationalisation de la production. Il a eu des expériences dans différentes voies industrielles, principalement des grands groupes.

Le projet a vraiment démarré après un « pitch » de Grégory au concours « 101 Projets », une opération de financement de startups conjointement lancée par Xavier Niel, Jacques-Antoine Grangeon et Marc Simoncini. Grégory a remporté un prix et décidé de lancer sa société. Pendant trois ans, Clément et lui ont développé tout le business model, étudié l’insecte, démarré les élevages tests et peaufiné le lancement de grande envergure. Ils ont fait en sorte que cela puisse devenir un modèle de production à proprement parlé. En janvier 2018, ils ont lancé leur premier élevage d’insectes chez un agriculteur.

Toute la solution d’Entomo Farm repose sur le fait que l’entreprise est à la fois éleveurs d’insectes et transformateurs. « Éleveur » d’une part car l’activité d’Entomo Farm regroupe plusieurs compétences. Il y a tout d’abord la reproduction qui est réalisée sur le site de Libourne.  Là-bas, nous faisons en sorte d’avoir des insectes qui arrivent à l’age adulte, se reproduisent et pondent des œufs. Ensuite, le but va être d’ensemencer des bacs (répondants aux standards européens et donc transportables) dans lesquels nous allons élever des dizaines de milliers d’insectes (des ténébrios molitor) dans un substrat à base de co-produits céréaliers. Nous plaçons ces bacs sur des palettes puis les expédions chez des agriculteurs partenaires (des Entomo Farmer) qui respectent un certain cahier des charges. Ils doivent disposer d’un bâtiment de 1000m², chauffé à 27°C et dans lequel on peut contrôler l’hygrométrie. Une fois que le camion arrive chez l’agriculteur, les palettes vont être entreposés. L’Entomo Farmer va avoir pour mission d’hydrater les insectes en respectant un protocole bien précis. Au bout de 9 semaines, les larves atteignent un poids moyen de 120 mg. En 60 jours (cycle de croissance), les larves auront multiplié par 120 leur poids, c’est énorme ! Au début, elles n’ont besoin que de très peu d’hydratation mais à mesure qu’elles grandissent, ces besoins augmentent. Toutes les semaines, Entomo Farm se rend chez l’agriculteur, apporte une nouvelle génération d’œufs prêts à éclore et récupère les larves qui sont arrivées à maturité.

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Que deviennent les insectes une fois que vous les récupérez ?

Lorsque les larves arrivent chez nous, nous allons trier les matières organiques (c’est à dire les déjections) de tout ce qui est vivant. Les déjections sont comme du fumier mais très sec que nous vendons à des jardineries par exemple. C’est le premier sous-produit que nous valorisons. Ensuite, nous allons vendre ce qui est vivant sous différentes formes. Les larves vivantes sont adressées à des réseaux de pêches ou des oiselleries. Pour la majorité de la production, nous réalisons deux phases de transformation. Une première phase de déshydratation consiste à sécher les larves pour obtenir un produit protéiné qui garde leur aspect. Elles sont commercialiser en alimentation animale pour les oiselleries, reptiles, batraciens ou rongeurs

On passe enfin à la deuxième et dernière étape de transformation : il s’agit de presser les larves déshydratées pour séparer les lipides des protéines. Nous obtenons ainsi d’un côté l’huile et de l’autre un concentré de protéines (70-80% de protéines). Nous commercialisons la farine comme matières premières ou ingrédients à intégrer dans des croquettes pour chien ou des granulés pour poissons. L’huile est actuellement en phase d’étude pour être utilisée en cosmétique. Elle peut aussi être vendue sous forme de compléments agroalimentaires.

L’alimentation humaine est aussi un débouché pour ces produits. Pour cela, nous devons obtenir les agréments sanitaires nécessaires et l’autorisation de mise en marché demandée par la commission Européenne.  De nouvelles gammes de produits élaborés à base d’insecte commencent à émerger comme par exemple en cookies, en pâtes, en steak, en brownies, …).

Combien êtes-vous chez Entomo Farm aujourd’hui ?

Nous sommes 25 employés, dont une grosse partie en production (tout n’est pas encore automatisé, il faut des bras !). Nous avons aussi des ingénieurs et ensuite il y a tout ce qui est support marketing, commerciaux et qualité.

Avec combien d’agriculteurs travaillez-vous ?

Pour l’instant nous travaillons avec une agricultrice, qui est une éleveuse de poulet standard dans le Gers. Elle a 3 bâtiments : 2 qui font du poulet, et elle avait un bâtiment qui était exactement pareil, mais non remis aux normes et dont elle ne se servait plus. Ce bâtiment qui ne servait à rien, nous l’avons réhabilité pour réaliser un élevage d’insectes.

Pourquoi réalisez-vous l’élevage d’insectes chez des agriculteurs, et non dans une usine qui vous appartiendrait ?

Il y a plusieurs raisons à cela :

  • Tout d’abord une question d’investissement. Plutôt que d’Avoir une usine de 20 000m², l’idée est de s’appuyer sur des agriculteurs qui possèdent des surfaces inutilisées pour les mettre à disposition et les exploiter pour créer de la valeur.
  • Aujourd’hui, dans la région où nous nous trouvons, il y a de nombreux agriculteurs qui recherchent nouvelles activités (en particulier suite aux crises successives : grippe aviaire, …). Ce que proposons est une opportunité à la fois pour eux et pour nous. Ils nous fournissent un travail et nous les rémunérons en contre-partie.
  • Les agriculteurs sont enfin habitués au métier d’élevage des animaux. L’idée pour Entomo Farm est de s’appuyer sur ce savoir-faire et en même temps de disposer de bâtiments équipés.
Y a-t-il beaucoup d’agriculteurs en mesure de recevoir des bacs d’insectes à élever, avec des bâtiments disponibles pour cela ?

Il y a beaucoup d’agriculteurs qui peuvent correspondre à nos critères. Nous étions au Salon de l’agriculture cette année et à notre retour, le téléphone a sonné très fréquemment avec un nouvel agriculteur au bout du fil ! Ceux-ci nous disaient qu’ils étaient prêts à réaliser de l’élevage d’insectes. La question que nous rencontrons aujourd’hui est plutôt celle du dimensionnement industriel et logistique car notre activité est en croissance.

Nous travaillons aujourd’hui avec des coopératives agricoles qui nous aident à développer notre modèle actuel (Ovalie Innovation, Maïsadur, Vivadour, …). Au Salon de l’agriculture, nous avons rencontré beaucoup de coopératives prêtes à assumer les coûts de logistique pour pouvoir installer un agriculteur dans d’autres régions (par exemple Dijon Céréales, Agrial, …). L’idée est de venir installer un agriculteur chez eux afin de démocratiser notre modèle, puis construire une usine dans leur zone.

Aujourd’hui, même si notre usine est à côté de Libourne, nous ne fermons pas la porte à un développement d’élevage d’insectes avec des agriculteurs situés dans d’autres régions.

Quels sont vos concurrents ?

Il y a Ynsect qui travaille avec le même insecte : le ténébrio. Eux le font de façon industrielle. Ils existent depuis 2009. Ils ont levé dès le départ de très beaux montants, ce qui leur permet d’avoir davantage d’actifs industriels (une usine, des bacs, …). Nous faisons partie d’un même syndicat, l’IPIFF, qui guide toute la filière au niveau européen. Nous travaillons également avec eux sur des problématiques d’ordre législatif (règlementations, …).

Il y a ensuite d’autres acteurs positionnés sur d’autres types d’insectes (la mouche soldat par exemple). C’est un produit qui va consommer des déchets organiques, c’est un peu différent. De nombreuses startups se lancent aussi sur des gâteaux apéros, ce type d’alimentation se démocratise.

Un mot pour conclure ?

Nous sommes vraiment des fabricants de matière première. Nous sommes sur une phase de développement aujourd’hui. Il faut un peu de temps pour convaincre les agriculteurs et que nous ayons des éleveurs d’insectes un peu partout dans le pays.

Il nous faut aujourd’hui bien dimensionner l’activité. Nous avons validé le concept, et il reste maintenant à trouver la bonne manière de produire plus et d’adresser de nouveaux marchés. Un marché comme les croquettes pour chien par exemple demande beaucoup de volumes.

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