Entretien avec Claire, responsable Marketing et Communication chez La Boîte à Champignons, une société proposant de cultiver des pleurotes sur du marc de café. Claire explique le concept et plus largement la vision de son entreprise.
Bonjour Claire, pourrais-tu décrire en quelques mots l’activité de La Boîte à Champignons ?
La Boîte à Champignons est la marque sous laquelle nous vendons nos boîtes de pleurotes au grand public. L’entreprise mère s’appelle Upcyle mais nous sommes plus connus désormais sous le nom La Boîte à Champignons.
Notre objectif est de nourrir la ville à l’aide des bio-déchets. C’est cela le fil conducteur de toute notre activité.
L’histoire a commencé en 2011 avec au départ un homme, Cédric Péchard, qui n’a plus aujourd’hui de fonction opérationnelle dans l’entreprise. Cédric était passionné par l’économie circulaire et les sujets d’insertion professionnelle. Il s’est formé sur ces sujets auprès de Gunter Pauli. Gunter avait une fille adoptive, une orpheline qui avait mis en place une culture de pleurotes sur la base de sous-produits agricoles pour permettre à certaines régions du Zimbabwe de faire pousser des pleurotes puis de les vendre sur le marché. Cédric a trouvé ce projet passionnant et s’est demandé s’il n’était pas possible de répliquer cette démarche à Paris. Il a commencé dans un container dans le vingtième arrondissement de Paris. Il a commencé avec du marc de café, qui contient de la cellulose qui permet de faire pousser les pleurotes.
Sont ensuite venus dans le projet Arnaud et Grégoire. Cédric est ingénieur informatique de formation. Grégoire a lui travaillé 10 ans chez Alter Eco et Arnaud chez Leroy Merlin. Il n’y avait pas d’ingénieur agronome au départ. Ce qui les a réunit, ce sont des convictions fortes de gens passionnés par l’économie sociale et solidaire. Arnaud avait un projet de faire des kits de culture pour permettre à tout un chacun de faire pousser des choses. Il se sont rencontrés au moment où tous cherchaient une structure d’insertion professionnelle.
On trouve de la cellulose dans les cartons, dans le bois, et dans le marc de café ! Nous récupérons donc aujourd’hui du marc de café toutes les semaines, des cartons via l’association Carton bleu ainsi que des chutes de bois avec lesquels nous créons un substrat pour faire pousser les champignons.
Nous produisons du substrat de pleurotes pour permettre à des particuliers de faire pousser chez eux des champignons mais nous faisons également pousser nos propres pleurotes afin de les vendre à Rungis à tous les matins. C’est une activité double.
Nos pleurotes sont d’excellente qualité : le marc de café rend le mélange très bon. C’est une pépite pour les chefs : nous avons aujourd’hui comme client des chefs étoilés comme Thierry Marx ou Yannick Alléno. Ce n’était pas vraiment notre cible client au départ !… mais la qualité du produit nous a rattrapé. Nous avions d’abord constaté que le concept intéressait des particuliers. C’était intéressant pour nous de faire des kits ludiques pour les particuliers car cela permettait de sensibiliser à l’économie circulaire. C’est ensuite seulement que nous nous sommes rendus compte que l’on pouvait aussi vendre nos pleurotes à des grands chefs. Et puis les entreprises se sont également intéressées à notre projet avec les démarches RSE et le développement du concept d’économie circulaire. Nous avons donc lancé une marque d’entreprise de façon à collecter du marc de café d’entreprises en échange d’animation autour de la culture des pleurotes. Il faut savoir que le marc de café représente en moyenne 5% des déchets d’une entreprise.
Il y a une véritable dimension environnementale dans votre activité !
Dans cette notion d’économie circulaire nous avons un retour très vertueux. Par exemple nous collectons le marc de café chez Carrefour et pour eux, quelques mois plus tard, leur marc de café s’est transformé en pleurotes qu’ils peuvent déguster. Nous avons d’ailleurs obtenu l’agrément pour l’entreprise : nous répondons à un défi environnemental.
Le gros avantage, c’est que nous utilisons plusieurs fois le marc de café pour faire pousser des champignons. Après il reste un substrat qui reste riche et très bon. Nous le revendons au fermier du coin pour qu’il fertilise naturellement ses sols. Nous sommes vraiment dans un projet zéro-déchet. Nous récupérons le marc de café, le transformons en produits de qualité et réutilisons enfin les substrats restants.
Nous travaillons aussi avec Agro Paritech qui réalisent des cultures en ville. A la place de la terre ils utilisent des bio-déchets ainsi que notre marc de café. L’idée de cette expérience est de montrer qu’en ville, on peut produire autant qu’un maraîcher classique de façon productive et non polluante. Notre démarche fonctionne aussi bien en ville parce qu’il y a nombreuses caves, toits non utilisés pour faire pousser des fruits et champignons. Nous avons envie d’insuffler cette dynamique. L’agriculture urbaine a un rôle important à jouer : celui de revégétaliser la ville et de recréer du lien entre les gens. On le voit très bien avec les jardins partagés, ou encore avec les projets d’insertion professionnelle qui s’appuient sur l’agriculture urbaine. Notre rôle est de remettre du vert en ville et de faire travailler tout un écosystème ensemble, dans une dynamique durable, sociale et environnementale.
Aurais-tu quelques chiffres à donner sur votre production de pleurotes ?
Nous collectons aujourd’hui 5 tonnes de marcs de café chaque semaine. Nous réalisons 120 boites de champignons par semaine avec cela. C’est un modèle productif et rentable, au contraire de beaucoup de projets d’agriculture urbaine.
Cette année, nous avons également mis en place une solution de compostage chez les particuliers. C’est un système très efficace qui peut contenir jusqu’à 1000 couverts jour en quantité de bio-déchets. On obtient un compost de qualité en 15 jours. Comme c’est sur place, il y a moins de logistique et le compost est de très bonne qualité. Nous voulons rentrer dans une démarche encore plus holistique.
C’est principalement les boites à champignon qui génèrent le plus de chiffres d’affaires (la boîte coûte 15,90€). Ce sont des produits cadeaux peu chers, évidemment moins si l’on rapporte cela au prix des pleurotes.
Comment commercialisez-vous vos produits ?
Nos produits sont vendus en Grande distribution d’une part, chez Carrefour, Monoprix, etc, et d’autre part sur notre site internet.
Chez les distributeurs nous fonctionnons un peu à 360°. Chez Monoprix par exemple, pour vendre les boites à champignons, nous avons mis en place un bar à pleurotes. Il y a de gros sacs de pleurotes qui poussent en live. L’objectif est de théâtraliser le point de vente. Cela attire davantage l’œil que de voir une boite toute seule.
Dans un autre Monoprix, il y a une cave où poussent des pleurotes et qui sont vendues tous les 15 jours. Nous essayons d’avoir une démarche intégrée : en circuit ultra-court et avec des produits ultra-frais.
Quel est ton parcours à toi plus spécifiquement ?
Je travaillais dans le Marketing à l’origine, chez Unilever. J’ai ensuite suivi un programme de reconversion dans l’économie circulaire. Ce qui m’intéresse particulièrement dans cette entreprise, c’est l’économie circulaire, sociale et solidaire. Qu’il y ait du sens dans ce que l’on fait. Je sais pourquoi je suis là et je le fais avec des convictions fortes.
Pour conclure, y a-t-il un dernier sujet que tu souhaiterais évoquer ?
Il y a un point qui est assez important dans l’histoire, c’est le retour au sol. Que ce soit le compost qui vient de nos composteurs ou bien le substrat, ce sont 2 amendements organiques extrêmement riches et qui permettent de nourrir les sols. Et aujourd’hui, il y a un gros souci d’épuisement des sols, d’où notre rôle dans la revalorisation et la gestion des bio-déchets. Cela devrait être une normalité aujourd’hui. L’agriculture a un rôle énorme à jouer dans la biodiversité, dans la reconstitution de sols plus riches, etc. Nous avons réellement envie de sensibiliser les gens là-dessus.
Unilever était une super entreprise ou j’ai beaucoup appris. Mais je me disais que j’étais assise à mon bureau et que je me donnais à fond pour qu’un produit pour toilettes puisse arriver le 1er janvier en rayon et pas le 15 janvier. Je trouvais dommage qu’il n’y ait pas de sens dans mon travail. Je me suis dit : quitte à se donner à fond, autant le faire pour quelque chose qui a de l’impact. Je suis partie au Cambodge et j’ai découvert le concept de l’entreprise sociale. J’ai trouvé cela passionnant de pouvoir créer un business qui soit vertueux. Avoir de l’argent pour déployer ses forces pour répondre à un problème social et environnemental.
Des petites sociétés comme la notre ne vont pas changer le monde. En revanche, nous avons des idées dont les grosses entreprises peuvent s’inspirer…et elles auront un impact énorme en faisant moins de 1% de ce que l’on fait. Nous travaillons pour essayer d’insuffler quelque chose qui pourrait devenir beaucoup plus puissant si les consommateurs s’y mettaient. Toutes les grandes choses sont venues avec des petites idées et des gens qui se sont battues.