Entretien avec Damien Roux, Co-président et Co-fondateur
– Bonjour, pourriez-vous nous raconter brièvement l’histoire de l’ASARD ?
L’Ambassade de l’Alimentation pour des Systèmes Alimentaires Responsables et Durables (ASARD) est une association à but non lucratif, que j’ai co-fondée en 2016 avec des amis agronomes et ma sœur biologiste. Nous étions tous des consommateurs avertis, on peut même dire des consomm’acteurs, prônant le respect des saisons, l’agro-écologie, le locavorisme, etc.
Nous constations que le système alimentaire devenait trop mondialisé, et que certaines dérives devenaient trop importantes pour être acceptées. De nombreux citoyens faisaient le même constat que nous, mais trop peu passaient à l’action pour proposer quelque chose de constructif. Nous ne voulions pas nous contenter de critiquer le système, nous savions que nous avions le pouvoir de faire changer les choses à notre petite échelle. Nous avons donc décidé de concrétiser nos idées et nos projets en créant une petite association.
En 2019, elle a été reconnue « entreprise solidaire d’utilité sociale » par les organismes d’État. En 2020, la première phase de nos actions se termine. Il s’agissait de réaliser un recensement des avis, des attentes et des critiques que les citoyens voulaient bien partager avec nous, à propos des traçabilités alimentaires (lieux de production, circuit de distribution, et méthodes de fabrication). Le rapport issu de cette consultation a d’ailleurs pris la forme d’un livre qui a été publié en été 2020.
Maintenant, nous lançons la phase de proposition des solutions, et de leur mise en application. C’est donc une grande étape !
– De quoi s’agit-il ?
L’Ambassade de l’Alimentation est une petite association par sa taille, mais qui a de grandes ambitions : proposer des outils aux acteurs des systèmes alimentaires (agriculteurs, artisans, distributeurs, restaurateurs, et enfin consommateurs), afin de contribuer à les améliorer. En particulier, le projet actuellement développé consiste à répondre aux lacunes et dysfonctionnements relatifs aux différentes traçabilités alimentaires.
Pour être plus clair, nous voulons aider les consommateurs à avoir une meilleure lisibilité en ce qui concerne les produits dits « locaux » ou en « circuit-court », car aucune définition claire n’existe pour définir une origine locale, et cela profite aux grandes entreprises capables de mettre en place des outils de communication et des stratégies marketing qui n’aident pas les consommateurs à bien comprendre ce qu’ils achètent.
Au-delà de la protection des consommateurs, ce projet a également pour objectif d’aider les professionnels de l’alimentaire à valoriser leurs engagements en faveur d’une alimentation de proximité. Cela passe donc par la mise en place d’une méthode commune de calcul de la distance parcourue par les produits à travers les différents lieux et étapes de production. Le but étant au final d’avoir une communication commune et harmonisée entre tous les acteurs des métiers de bouche. Si au final le consommateur retrouve le même indice avec le même élément visuel sur les étals des différentes boutiques qu’il fréquente, il sera alors en mesure de mieux comprendre ce qu’il achète.
Le but n’est pas de créer un label alimentaire, car il en existe déjà trop. Le but est de développer une méthode fiable et rigoureuse (grâce à notre expertise en tant qu’ingénieur agronome et spécialiste en marketing scientifique), qui serait adoptée par un ensemble de professionnels volontaires. Bien entendu, le projet ne s’arrête pas à la proposition d’une méthode ; la finalité est que la communication aux consommateurs passe par un élément visuel commun, une « mention » qui s’affiche à proximité du produit, avec suffisamment d’explications pour que tout consommateur non averti puisse en saisir les tenants et les aboutissants. Donc exactement pas ce que fait un label, où seul le logo visuel compte, et où aucun texte explicatif ne permet de comprendre les critères qui se cachent derrière le label.
– Où se trouve votre association ?
L’association n’a pas d’établissement pour recevoir du public. L’association propose ses actions sur internet, et communique avec ses utilisateurs par télécommunication (téléphone, courriels).
– Quels sont vos programmes d’actions ?
L’Ambassade de l’Alimentation développe depuis 2016 son programme principal, à savoir le Programme SAT’élite : l’élite des Systèmes Alimentaires Territorialisés (SAT). L’objectif est de créer des liens et des outils qui recréent un tissu économique plus dense et plus riche entre les acteurs d’un même territoire. Dans le Programme SAT’élite, nous développons le projet des mentions valorisant les trois formes de traçabilité : suivi des lieux de production et de transformation, traçage du circuit de distribution, et connaissance des méthodes de production (au-delà des labels et des certifications habituelles).
– Quels sont vos domaines d’actions ?
Nos domaines d’actions sont tous ceux qui touchent à l’alimentation au sens large : production agricole, transformation artisanale, distribution alimentaire, consommation.
– Quels sont les objectifs d’ASARD ?
Les objectifs de l’Ambassade de l’Alimentation sont de contribuer à l’amélioration des systèmes alimentaires français, afin de les rendre plus responsables et plus durables. Cela passe donc par le recensement des attentes des citoyens et la compréhension des dysfonctionnements, puis par le développement de solutions innovantes. La forme globale restant très mesurée et modérée : même si nous paraissons militants sur le fond, nous ne sommes pas des intégristes dans la forme, car nous ne souhaitons pas la fin des grandes surfaces ni des industries agro-alimentaires comme certains clichés pourraient le laisser penser. Au contraire, nous souhaitons soutenir tous les acteurs de l’alimentaire, afin que chacun puisse amorcer sa transition agro-écologique, et que tout le monde puisse s’améliorer et adopter des pratiques plus vertueuses.
Il s’agit vraiment d’un objectif humaniste. Nous sommes foncièrement animés par une ambition humaniste au sens propre du terme.
– Quel est votre engagement principal ?
Notre engagement principal est d’aider les consommateurs à mieux comprendre ce qu’ils achètent en leur évitant de tomber dans le piège de la manipulation par le marketing abusif. Nous ne sommes pas contre le marketing en tant que tel, car nous en faisons tous dans notre quotidien pour convaincre un client. Mais lorsque cela sert les intérêts de l’éco-blanchiment (plus connu sous le terme de green-washing) au détriment des intérêts d’une population, nous estimons que cela n’est pas juste. Nous nous engageons donc contre le green-washing en priorité.
Ensuite, si nous avons suffisamment de moyens, nous nous engagerons sur les pratiques en amont du marketing abusif, c’est-à-dire en essayant de faire changer les pratiques qui ne sont pas vertueuses (car soulignons bien que si le green-washing existe, c’est bien que celui qui l’applique est conscient que ses pratiques ne sont pas durables, sinon il ne ferait pas de communication travaillées dans le sens d’un éco-blanchiment, il ferait une communication plu directe qui ne cache rien… Donc restons optimistes, voyons le bon côté des choses : le fait que le green-washing existe, indique qu’au moins les dirigeants de certaines entreprises sont conscients qu’ils pourraient faire mieux. Il ne reste plus qu’à les aider à le faire !
– Combien êtes-vous à travailler à l’ASARD ? Qu’aimez-vous dans votre métier ?
Nous sommes deux. Ça ne parait pas beaucoup, certes ! Mais c’est juste le bon nombre de personnes pour réaliser un travail de fond fastidieux qui ne fait pas rêver beaucoup de gens. Malgré tout, nous comptons de nombreux soutiens fidèles de professionnels qui suivent les avancées de nos actions.
Ensuite, quand le projet sera plus avancé et que plus d’utilisateurs seront impliqués, nous pourrons augmenter la taille de l’équipe pour réaliser tout le travail qui nous attend.
Ce que nous aimons dans ce métier, c’est qu’il met en jeu énormément des facteurs humains et sociaux, très difficiles à comprendre et à encadrer. Et c’est tout ce qui fait le charme de notre travail : savoir répondre à des gens qui peuvent faire l’objet de multiples paradoxes, d’incohérences, et de craintes… et quand au final, malgré ces difficultés le projet aboutit, c’est une victoire collective encore plus savoureuse !
– Quels sont vos projets pour l’avenir ?
Nous allons créer un réseau de professionnels de l’alimentaire engagés dans des démarches vertueuses, pour les mettre en lumière aux yeux du public, et les aider à s’entraider.
Merci beaucoup pour cet entretien !