Entretien avec Vanessa, agricultrice Bio et blogueuse dans le Tarn :
Vanessa évoque son parcours professionnel, son métier d’agricultrice, son activité de blogueuse et la condition de la Femme dans l’Agriculture.
Bonjour Vanessa, vous n’étiez pas je crois agricultrice au départ. Qu’est-ce qui a motivé votre changement de parcours ?
Effectivement, je ne suis agricultrice que depuis 2015 et j’avais pris la décision de me lancer dès 2012-2013. Je travaillais dans les Ressources Humaines auparavant. Je n’avais pas encore fait le tour de ce métier mais j’avais toujours eu l’idée de me mettre à mon compte sans avoir eu jusqu’alors de projet concret pour commencer à entreprendre.
Mon dernier poste a été responsable des Ressources Humaines dans une usine où il y avait 300 salariés à Rodez, à 1 heure 10 de mon exploitation actuelle, à Sainte-Croix dans le Nord du Tarn. J’avais occupé auparavant plusieurs fonctions, en Normandie, à Toulouse, en Belgique, etc… Je suis allée là où il y avait du travail.
Mon père avait gardé l’exploitation de mes grands-parents. Quand il s’est approché de la retraite il nous a demandé à ma sœur à et moi ce que l’on voulait faire, souhaitions-nous reprendre l’exploitation ou bien devait-il la revendre ?
Le métier d’agriculteur est un métier dont on ne se lasse jamais. Il y a énormément de métiers différents au sein même du métier d’agriculteur. Je me suis dit que je pourrais toujours rester motivée et innover en devenant agricultrice.
Je me suis alors renseignée sur les formalités pour devenir agriculteur. Il fallait une autorisation d’exploitation pour cela. J’avais une Maîtrise de gestion et un Master 2 en droit social, incompatibles avec la reprise d’une exploitation. Je suis alors allée à l’ESA d’Angers et obtenu également un BTS agricole. Tout cela en continuant à travailler. Une fois mon BTS en poche, j’ai bénéficié d’une rupture conventionnelle qui m’a aidé dans mon projet d’installation.
Ma motivation est venue du fait que je travaillais énormément auparavant pour mes anciens patrons. Je me suis dit qu’il fallait que toute cette énergie soit mise au service d’un projet qui soit mien.
Que produisez-vous dans votre exploitation ?
Je produis des pois chiches et du blé meunier. Ce sont mes deux cultures principales. J’essaie de cultiver d’autres produits comme du carthame. C’est une culture qui existait en France il y a très longtemps. Le débouché est de faire de l’huile qui est très bonne pour la santé. Tous mes produits sont bios.
Avez-vous rencontré des agriculteurs pour prendre la décision de vous installer ?
Je suis allée à pas mal de réunions, de conférences. En particulier celles de Marc Dufumier, un agronome spécialiste de l’agriculture, reconnu mondialement, défenseur de l’agroécologie comme moyen efficace de nourrir la planète. Marc regrette également les méfaits d’une spécialisation exagérée de l’agriculture. C’est d’une certaine manière le contraire de la théorie de l’avantage comparatif développé par David Ricardo, théorie que j’avais longuement étudiée pendant mes études.
J’ai également suivi des conférences de Konrad Schreiber, lui aussi défenseur du non-travail du sol. Selon lui, nous n’aurons plus besoin demain d’engrais chimiques parce que nos sols seront vivants.
Ce sont ces deux personnes qui m’ont parlé des différentes agricultures : conventionnelle, bio, etc. Je me suis rendu compte que chaque agriculteur pouvait construire son propre modèle agricole. Cela a pesé dans ma décision car je me suis vraiment dit que le métier d’agriculteur innovait, allait de l’avant.
Vous êtes également blogueuse et écrivez sur votre quotidien d’agriculteur. Qu’est-ce qui vous a donné envie de créer ce blog ?
Il y avait très peu de blogs d’agriculteurs qui parlaient de leur vie quotidienne. La plupart de mes amis, non issus de l’agriculture, me posait énormément de questions sur ce que je faisais. L’idée était de décrire mon quotidien pour leur expliquer mon métier. Mais finalement le plus difficile est aujourd’hui de tenir à jour ce blog : je n’ai pas publié d’articles durant mes mois de grossesse.
Comment avez-vous réussi à gérer votre grossesse et votre quotidien d’agriculteur ?
C’est assez compliqué quand on est à son compte de gérer une grossesse, de conduire un tracteur, etc… Notre couverture sociale nous permet pendant le congé maternité d’avoir une personne qui vient nous remplacer. La personne est payée au SMIC et ne fait qu’une partie des activités, pas la partie administrative. Il y a beaucoup de contrôles en plus en Bio, ce qui demande un effort supplémentaire. Cette personne n’est arrivée que mi-juillet pour un accouchement début-septembre, deux mois seulement.
En France, on ne rend pas encore tout à fait compte qu’une femme puisse être agricultrice et donc avoir besoin de remplacements sur l’ensemble des dimensions du métier. Si ma grossesse s’était mal passée, mon père m’aurait sans doute aidé. En tant qu’agriculteur, si on est en arrêt maladie on est payé 20€ par jour, ce qui est très peu.
En tant qu’agricultrice, j’aurais préféré que l’on me donne une somme d’argent et que je puisse l’étaler dans le temps lors de ma grossesse. Il y avait des moments où j’étais plus fatiguée que d’autres.
Qu’aimez-vous dans votre métier ? A l’inverse, qu’est-ce que vous n’aimez pas ?
Ce que j’aime c’est qu’on ne fait jamais la même chose. On ne peut rien planifier à l’avance parce que cela dépend de la météo. Cet après-midi je vais aller dans les champs, hier j’ai semé, etc. Vivre au rythme de la nature. Si un matin il gèle ou s’il pleut, la journée va être plus « cool », plus reposante. C’est un métier où on ne peut pas se lasser.
Ce que j’aime le moins, c’est que c’est un peu compliqué d’en vivre. On m’avait prévenu avant que je ne me lance. Entre mon métier de cadre avant et aujourd’hui il y a une grosse différence. Par ailleurs, mon projet d’exploitation dépendait d’aides publiques nécessaires lors de mon lancement et une fois installée ces aides ont été modifiées et cela de façon rétroactive. Quand on construit un business plan, on prévoit des choses et c’est un peu gênant que cela puisse changer comme cela. Ça fragilise le système. On devient un peu plus frileux à l’idée d’investir. Cela a notamment rendu mon installation difficile pendant ma période de conversion au Bio. A ce moment là je vendais au prix du conventionnel, avec des coûts de production du Bio.
En plus de votre activité d’agriculteur, vous possédez un gîte ?
Oui. La maison que je loue n’est pas encore payée. Cela permet de rembourser l’emprunt. C’est la maison que j’avais construite quand j’étais célibataire. Ce n’est pas mon activité principale, loin de là.
J’ai lu sur votre blog que « l’innovation avait toute sa place dans le métier d’agriculteur ». Quelles innovations avez-vous vous-même mis en place ? Pensez-vous que les nouvelles technologies (digital, numérique, …) soient bénéfiques à l’agriculture ?
Je pense d’une part que la vente en ligne est ce qui va très certainement permettre à l’avenir d’avoir un lien plus proche entre le producteur et le consommateur. Je vais ainsi consolider mon exploitation agricole dans les mois à venir en transformant et en commercialisant directement mes pois chiches…c’est le défi de l’année 2018 ! J’espère aussi que le consommateur continuera à regarder ce qu’il achète…et c’est un réflexe facilité par internet.
D’autre part, pour les agriculteurs, l’innovation permettra d’améliorer la connaissances des parcelles exploitées, et de mieux les gérer. J’ai des terres qui ont une bonne capacité, d’autres non. Il y a des moissonneuses qui donnent le potentiel des terres de façon assez précises. Si on arrivait à avoir des systèmes qui croisent toutes les données, cela serait d’une grande aide, notamment pour la gestion de la fertilisation. On est au tout début aujourd’hui. Chaque marque développe son propre système d’exploitation mais aujourd’hui on ne peut rien mutualiser.
Votre dernier article concerne les femmes agricultrices. Sont-elles nombreuses ? Quelles sont leur place aujourd’hui dans le secteur agricole ?
Elles sont de plus en plus nombreuses. Il y a de plus en plus de femmes qui décident de reprendre les exploitations familiales. C’est assez nouveau, cela date d’il y a 10-15 ans. Auparavant, il y a disons 20 à 30 ans, les femmes étaient des femmes d’agriculteurs, pas des agricultrices à proprement parler. En France, 20% des chefs d’exploitation sont des femmes. Dans le lot, il y a en qui le deviennent quand leur mari part à la retraite. Aujourd’hui il y a encore beaucoup de femmes qui n’ont pas de statuts. Elles travaillent avec leur conjoint mais n’ont pas elles-mêmes de statut d’agriculteur. C’est une situation précaire pour elles : cela veut dire qu’elles ne bénéficient d’aucune couverture sociale et ne cotisent pas pour la retraite.
Un mot peut-être pour conclure ?
Ce qui serait bien c’est que lorsque l’on parle des agriculteurs, on les perçoivent comme de véritables chefs d’entreprise. Les chefs d’entreprise sont aujourd’hui mieux vus que les agriculteurs. Alors que nous gérons le travail dans les champs, le personnel, la réglementation, … On retrouve dans le métier d’agriculteur tous les métiers que l’on aurait au sein d’une entreprise.