Entretien avec Delphine, responsable technique et commercial chez Fruition Sciences
Bonjour Delphine, pourriez-vous décrire en quelques mots l’origine de Fruition Sciences et ses objectifs ?
Fruition Sciences a été créée en 2008 par Sébastien Payen et Thibaut Scholasch. Sébastien et Thibaut se sont rencontrés aux États-Unis, d’où le nom anglais de la société. Les deux étaient alors en thèse en Californie. De formation agronome et œnologue, Thibaut étudiait l’irrigation des vignobles dans des conditions semi-arides (comme en Californie). Pour quantifier le déficit hydrique, Thibaut a utilisé des capteurs de flux de sève : ces capteurs (installés sur la vigne) mesurent la consommation hydrique des plantes. Ces capteurs de flux de sève permettent de piloter en continu l’irrigation des vignes. Sébastien, polytechnicien, travaillait de son côté sur des micro-capteurs permettant de suivre la maturité des raisins. Les deux ont pris la décision il y a maintenant dix ans de lancer Fruition Sciences à partir des recherches de Thibaut.
La société a d’abord vu le jour en Californie mais rapidement, un autre bureau a été ouvert en France, à Montpellier. Les équipes en France ont alors commencé à développer l’application web d’aide à la décision et ont amorcé des travaux de recherche en viticulture avec l’INRA et SupAgro.
Comment se répartit l’équipe aujourd’hui ?
Nous sommes environ dix en France, et dix aux États-Unis. Je suis rattachée au site de Montpellier mais travaille à plein temps à Bordeaux, zone que nous développons en priorité. A Montpellier, nos équipes comprennent des développeurs et géomaticiens, deux ingénieurs agronomes (dont moi) et une personne en charge de l’administratif et de la comptabilité.
Quelles sont les solutions proposées par Fruition Sciences ?
En France notre point de départ est une interface web, une application web sur laquelle les vignerons, les œnologues, les directeurs techniques, etc. se connectent pour contrôler l’état des vignes. Cela peut être des contrôles de maturité du raisin, des analyses de la vigne (le petiole, le bois de la vigne, …) etc. Avec cet outil, les vignerons, œnologues ou viticulteurs pilotent leur exploitation avec ces données, c’est un outil d’aide à la décision.
Nous connectons à cet outil d’aide à la décision un certain nombre de services qui permettent de répondre à des problématiques particulières :
- Notre produit historique est la gestion fine de l’irrigation. Nous installons des capteurs de flux de sève et nous fournissons par le biais de l’application web un indice de deficit hydrique. Cet indice permet, en fonction des objectifs de production du vigneron, d’optimiser le timing des apports d’eau et leurs volumes. Nous avons pu montrer que, grâce à cette approche, nous économisons en moyenne 30 à 60% d’eau, tout en augmentant qualité et rendement. Ce produit constitue notre principale source d’activité aux Etats-Unis, moins en France.
- Nous travaillons avec un fournisseur d’imagerie aérienne (l’Avion Jaune qui utilise des ULMs sur lesquels il y a des caméras) pour mesurer la vigueur de la vigne. La vigueur, c’est l’intensité végétative de la vigne. Il peut y avoir des hétérogénéités en termes de développement du feuillage au sein même d’une parcelle ; les vignerons prennent alors des décisions pour homogénéiser leur vignoble (fertilisation, enherbement, travaux spécifiques, …). Nous obtenons des cartes que nous intégrons à notre interface web. D’autres cartes (comme celles des sols), que le vigneron peut avoir, peuvent être ajoutées également à notre application.
- Nous développons aussi le Physiocap, un outil qui passe dans les vignes l’hiver et compte le nombre de bois par vigne, également appelés « sarments ». Cela donne des informations sur la biomasse de la vigne. Si les bois sont petits, ou bien s’il y en a peu, cela veut dire que le pied est assez « faible » et/ou la zone assez pauvre : il faudra éventuellement apporter plus d’engrais ou optimiser la taille. Là encore, c’est un outil d’aide à la décision pour les vignerons.
- Nous travaillons enfin sur un outil de prévision météo. Les modèles météos se développent beaucoup en Agriculture. L’idée est de proposer un modèle météo à l’échelle du groupe de parcelles pour le vigneron, sans qu’il y ait besoin d’ajouter des stations météos. A partir de cette donnée météo, le vigneron va pouvoir prendre une décision sur les traitements des maladies, sur les interventions nécessaires, etc. Il va pouvoir optimiser ses travaux au vignoble, et ainsi produire mieux tout en économisant les ressources en eau et en engrais.
Comment travaillez-vous entre la France et les États-Unis ? Quels sont les échanges entre les deux bureaux ?
Nous avons des contacts toutes les semaines avec l’équipe américaine. Dès que l’on met en place quelque chose en France (outils techniques, marketing, commercial, …), nous le déployons aussi aux États-Unis afin de garder une cohérence d’entreprise. Nous gardons tous le même but et les mêmes directions.
Comment identifiez-vous vos clients vignerons, viticulteurs ou œnologues ?
Beaucoup par le bouche à oreille, le réseau, les conférences et réunions techniques, … Le porte à porte ne marche pas vraiment, les viticulteurs étant très occupés. Il n’y a finalement pas de période creuse pour eux. Notre objectif est d’organiser un premier rendez-vous avec eux au Château et peu à peu de leur démontrer notre valeur ajoutée.
Quelle différence voyez-vous entre les vignerons américains et français ?
Une bouteille de vin vendue 5€ en France sera commercialisée 5 a dix fois plus aux États-Unis. Les ordres de grandeur ne sont pas les mêmes. Les vignerons français sont peut-être plus traditionnels, moins enclins à tester de nouvelles technologies par rapport à leurs homologues américains. En France, si l’intérêt est bien présent, il faut peut-être davantage d’effort pour parvenir à convaincre les vignerons de la valeur ajoutée de nos solutions.
Vous traitez beaucoup de données, avez-vous mis en place des outils Big Data ou d’Intelligence Artificielle ?
Nos développeurs utilisent des outils informatiques conçus dans cette optique Big Data. Nous avons d’ailleurs récemment changé l’architecture de notre application afin de traiter plus facilement de grosses bases de données. Notre interface graphique a aussi été repensée en ce sens. Désormais, si nous nous développons à grande échelle, notre système sera capable d’absorber les volumes de données.
En termes d’Intelligence Artificielle, nous développons notre outil de prévision météo à la parcelle, en partenariat avec les sociétés Weather Measures et Demeter. Weather Measures, d’une part, croise les données météorologiques spatiales (issues des radars et satellites notamment) avec les données locales (issues des stations météos Demeter et autres capteurs au sol) pour obtenir des données réelles antérieures et réelles. D’autre part, la société croise les données de différents modèles météo existants pour apporter une prévision de la météo à 4 jours. Nous comparons systématiquement nos prévisions avec les données réelles. A chaque instant, nos modèles apprendront de leurs erreurs et seront ainsi re-calibrés tous les jours.
Quelles sont vos perspectives pour l’avenir ?
En France, nous sommes présents en Occitanie, en PACA et en Nouvelle Aquitaine. Pourquoi pas se développer en Champagne, en Côtes du Rhône ou en Bourgogne ? Cela fait partie de nos objectifs. Le développement international suivra sans doute.
Nous travaillons ensuite tous les jours sur l’interface web. Notre vision est de devenir interopérable et de récupérer toutes les sources de données possibles pour que le viticulteur, le vigneron et l’œnologue puissent se connecter et disposer de l’ensemble des informations pertinentes sur une seule interface. Notre but final est vraiment de travailler sur un maximum d’outils et technologies pour que nos clients puissent prendre des décisions en passant uniquement par notre interface.
Pour cela, nous avons une politique de mise en place de partenariats dynamique avec les fournisseurs de données. Notre système est déjà compatible avec plusieurs dizaines de fournisseurs et nous distribuons aussi directement les données d’entreprises comme l’Avion Jaune. Nous avons également un intérêt commun avec les sociétés qui produisent des robots. Nous ne pouvons pas être spécialiste de tout, le but est donc de monter des partenariats avec chaque entreprise pour pouvoir travailler ensemble et que chacun apporte sa spécialité.